L’offre de soins devient numérique : risques et opportunités
- André Boisvert
- 20 mai
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 22 mai
« Cliquez ici pour prendre rendez-vous. »
« Téléchargez votre ordonnance. »
« Connectez-vous à votre portail patient. »
La santé au Québec, version 2025, s’affiche désormais en pixels.
Pour le meilleur… et parfois pour le pire.
La grande accélération
La pandémie a servi de catalyseur. En l’espace de quelques mois, la télésanté, les portails patients et les rendez-vous en ligne sont devenus la norme, propulsés par la nécessité de réduire les contacts et de maintenir l’accès aux soins malgré les confinements. Résultat : en 2022, plus de 80 millions de consultations virtuelles ont eu lieu au Canada, dont une part significative au Québec. Le téléphone, la vidéo, le courriel : tout est bon pour relier patients et soignants.
Pour beaucoup, c’est une révolution bienvenue. Moins de déplacements, des rendez-vous parfois plus rapides, un accès facilité à des spécialistes éloignés. Mais cette transformation, aussi prometteuse soit-elle, n’est pas sans zones d’ombre.
Le fossé qui se creuse
Car derrière la façade numérique, un fossé s’élargit. Les données sont claires : ce sont les personnes âgées, les ménages à faible revenu, les communautés autochtones et racisées, ainsi que les habitants des régions rurales qui peinent le plus à suivre le rythme de la numérisation. Pour eux, le portail patient n’est pas une porte d’entrée, mais un mur.
Prenons l’exemple de M. Tremblay, 74 ans, de la Côte-Nord. Après un AVC, il doit suivre des consultations régulières en télésanté. Sa fille, qui vit à Montréal, doit lui expliquer à distance comment cliquer sur le bon lien, activer le micro, vérifier la caméra. « On a perdu la moitié du rendez-vous à essayer de se connecter, » raconte-t-elle. « Et même là, il n’a pas osé poser toutes ses questions, de peur de tout faire planter. »
Ce n’est pas un cas isolé. Selon une étude d’Inforoute Santé du Canada, plus d’un quart des Canadiens n’ont pas un accès fiable à Internet, et 60 % doutent de leur capacité à utiliser les applications de santé numériques. Les populations les plus vulnérables sont aussi celles qui ont le plus besoin de soins… et qui risquent d’en être privées par manque d’accès ou de littératie numérique.
Risques d’iniquité, occasions manquées
La numérisation des soins, si elle n’est pas accompagnée, risque d’aggraver les inégalités existantes. Les soins virtuels profitent d’abord à ceux qui sont déjà bien équipés et à l’aise avec la technologie. Les autres ? Ils risquent de se retrouver encore plus isolés, ou de devoir dépendre d’un proche pour accéder à un service de base.
L’essor du privé dans la télésanté, dopé par la demande et les investissements, ajoute une couche d’inquiétude : accès à deux vitesses, ponction de ressources du public vers le privé, fragmentation du suivi médical. Les patients les plus à risque — aînés, personnes en situation de pauvreté, nouveaux arrivants — sont les premiers à subir les contrecoups de cette course à la modernisation.
Opportunités… si on les saisit
Pourtant, la santé numérique peut aussi être un formidable levier d’inclusion, à condition de penser l’accompagnement :
Soutien technique personnalisé pour les patients à domicile (par exemple, un technicien qui aide à installer et utiliser les outils de télésanté)14.
Déploiement de WiFi fiable et gratuit dans tous les milieux de soins, y compris les CHSLD et les régions éloignées.
Formations adaptées, ressources en langage clair, implication des comités d’usagers et des proches aidants.
Comme le rappelle une patiente de l’Estrie, « Le jour où j’ai pu parler à mon médecin sans sortir de chez moi, j’ai compris que le numérique pouvait vraiment changer ma vie. Mais il a fallu que ma petite-fille m’aide à chaque étape. »
Le défi ? Faire en sorte que personne ne soit laissé sur le quai du numérique. Car dans la santé, chaque clic compte — et chaque patient aussi.
À suivre : l’hospitalisation à domicile, prochaine frontière de la santé numérique… et de l’équité.
Sources :
Institut de recherche et d’informations socioéconomiques
Inforoute Santé du Canada
Public Health Ontario
OBVIA
Radio-Canada
ZAP SANTÉ – Projet Contribution volontaire
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